Pourquoi chercher midi à quatorze heures?

La chimie combinatoire gagnerait à s'intéresser d'abord aux choix déjà faits par la nature.

La chimie combinatoire connaît une grande vogue. L'industrie pharmaceutique s'est ruée sur elle pour élaborer de nouveaux médicaments. Elle automatise la synthèse, par immobilisation sur des perles de polymère, d'un très grand nombre de molécules apparentées, différant par tel ou tel module. On obtiendra par exemple l'ensemble des tétrapeptides A-B-C-D, avec dans chaque position les vingt aminoacides naturels, soit cent soixante mille produits différents. Des tests biologiques permettent de sélectionner ensuite les seules molécules prometteuses, pour les préparer à plus grande échelle. Cette recherche prolifique a toutefois ses limites: une machine pourrait préparer de l'ordre de dix millions de molécules par semaine; or, le nombre de celles de masse inférieure à 850, comme le sont la plupart de nos médicaments actuels, serait de l'ordre de 10200!

Une autre stratégie s'offre à la pharmacologie: tirer parti du tri déjà fait par la nature, en développant des substances naturelles existantes, dont l'activité biologique est avérée. Un exemple: les bords de mer nous offrent de beaux coquillages. Ceux du genre Conus, ainsi nommé pour la forme conique de leur armure, sont prisés des collectionneurs, car le genre ne compte pas moins de 500 espèces. Ces gastropodes sont carnivores. Les cônes pêchent le poisson avec des filaments, dont l'extrémité, lorsque leur proie l'ingère, libère une toxine souvent paralysante. Chacun des cônes a son arsenal de telles armes chimiques, des peptides de douze à trente résidus, donc inaccessibles dans leur totalité par chimie combinatoire. Le genre Conus nous offre à étudier au moins 5 000 peptides, tous actifs et dont les travaux exploratoires ont montré la grande spécificité. La voie est toute tracée, commençons par mieux connaître le naturel avant de faire de l'artificiel à tour de bras!

Pierre Laszlo

A lire: G. Kolata, "Snail Toxins Block Pain," International Herald Tribune, 8 août 1996, p. 11; H. Terlau, K-J. Shon, M. Grilley, M. Stocker, W. Stuhmer et B.M. Olivera, Nature, 1996, 381, 148-151; B.M. Olivera, D.R. Hillyard, M. Marsh et D. Yoshikami, Trends Biotechnol., 1995, 13, 422-426.

Tous droits réservés à La Recherche, 1997.


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