Bernique!

Les bernaches (ou berniques, dans la bouche des enfants en vacances à l'océan) sont des crustacés familiers et néanmoins énigmatiques. Nous leur devons le terme de "canard" pour une fausse nouvelle, d'où entre autres le Canard enchaîné. Des auteurs anciens faisaient naître en effet des oies dites de bernache, de ces anatifes. "Comme ces fables ont eu beaucoup de célébrité, et qu'elles ont même été accréditées par un grand nombre d'auteurs, nous avons cru devoir les rapporter, afin de montrer à quel point une erreur scientifique peut être contagieuse" écrit Buffon dans l'Histoire naturelle.

Les berniques s'attachent à la coque des bateaux. Elles les ralentissent, doublement, puisqu'à la perte d'hydrodynamique vient s'ajouter le temps perdu dans les ports à gratter la coque pour les en ôter. C'est le cas de s'exclamer, comme le fait le capitaine Haddock dans les traductions anglaises de Tintin, "Billions of blistering barnacles!".

La chimie est de longue date appelée à la rescousse. Hélas! la solution ne peut pas atteindre que les bernaches (ou que les moules), ni être anodine. Les complexes organiques de l'étain utilisé sont très toxiques, pour les organismes marins en général. On connaît la grande toxicité de la plupart des espèces organométalliques dérivées de métaux lourds comme l'étain, le mercure ou le plomb.

Il faut trouver mieux et on s'y attache. Les biologistes marins ont répertorié des invertébrés aux défenses chimiques à l'encontre de ce parasitisme, de campement à leur surface. A leur suite, des chimistes japonais viennent d'extraire d'une éponge, Acanthella cavernosa, des inhibiteurs de la sédentarisation des larves et de la métamorphose des bernaches Balanus amphitrite. Ce sont des dérivés diterpéniques, actifs à de faibles concentrations (0,09 mg/mL). Il reste à poursuivre cette exploration des armes chimiques dissuasives à l'égard des bernaches et à synthétiser d'autres molécules de la même famille, pour augmenter leur activité biologique et pour minimiser d'éventuels effets secondaires. La chimie des substances naturelles nous donne de la sorte davantage de subtilité dans notre coexistence avec d'autres occupants de la biosphère.

Pierre Laszlo

Tous droits réservés à La Recherche, 1996


Retour à l'index