Chronique d'une catastrophe annoncée

Il y a tout juste 100 ans, le 11 décembre 1895, Svante Arrhenius fît un exposé à l'Académie Suédoise. Sujet: l'influence de l'anhydride carbonique atmosphérique sur la température terrestre. Il publia dans le Philosophical Magazine d'avril 1896 ses calculs du réchauffement global, dû à l'effet de serre dont Fourier avait déjà eu et publié l'idée, en 1827. Arrhenius fît preuve d'une grande ingéniosité, se basant sur les observations par Langley, de 1885 à 1887, de la pleine Lune, telle qu'elle nous apparait au travers de l'atmosphère.

Le grand savant suédois, prix Nobel de chimie en 1903, voulait comprendre l'origine de variations brutales de température, responsables des glaciations successives. Moyennant quelques hypothèses, les données de Langley lui permirent, d'abord de déterminer le coefficient d'absorption de la lumière par CO2 en fonction de la longueur d'onde; puis de calculer le réchauffement global en fonction de la teneur atmosphérique en CO2. Il annonça une progression arithmétique pour la température, lorsque la concentration en CO2 suit une progression géométrique.

Un siècle après l'énoncé par Arrhenius de la très forte absorption par CO2 dans l'infrarouge, où en sommes-nous? Le réchauffement global reste controversé, sur la longue durée, faute, surtout d'observations précises suffisamment anciennes. Et toutes les relations de causalité sous-jacentes font l'objet de polémiques sur l'interprétation de statistiques, entre divers groupes, des écologistes aux porte-paroles de l'industrie. Toutefois, durant les deux ou trois dernières décennies, en l'absence de corrélation stricte entre les émissions de CO2 et son taux atmosphérique, environ 56% du CO2 issu de la combustion de carburants fossiles a filé dans l'atmosphère.

Que la réflexion que nous commémorons vienne d'un chimiste n'est pas pour surprendre. La chimie est science du complexe. Arrhenius était prédisposé à l'analyse d'un phénomène multiparamétrique pour en isoler le facteur principal. Le chimiste américain F. Sherwood Rowland, prix Nobel 1995, ne fera pas autrement lorsque, dans les années 1960, il incriminera les chlorofluorocarbures dans la destruction de la couche protectrice d'ozone.

Et quelles questions nous suggère ce rappel historique? Nos organismes de financement de la recherche auraient-ils subsidié ce travail d'Arrhenius, sans application à court ou moyen terme? Nos décideurs, possédant l'information (qualitative depuis 1827, quantitative depuis 1895) sur l'effet de serre, sortiront-ils de leur inaction?

Pierre Laszlo

Tous droits réservés à La Recherche, 1995.


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