Sommes-nous pilotés par nos gènes?

polychronique Nature et Artifice pour La Recherche

Qu'on m'autorise, en guise de réponse (ni oui, ni non) à la question posée, de gloser sur le dit du poète, Henri Michaux en l'occurrence:

"Dans le chant de ma colère il y a un oeuf,/ Et dans cet oeuf il y a ma mère, mon père et mes enfants,/Et dans ce tout il ya joie et tristesse mêlées, et vie."

Tout y est dit! Pilotage par l'inné? Mon ascendance m'a souvent confronté à la question: ainsi de mon groupe sanguin, peu fréquent dans des pays comme la France ou les USA, il est AB rhésus positif. Mais il m'est aisé d'opposer à cette donnée biologique -- je m'en connais d'autres, comme la peur des serpents, et la prédilection pour le lavage à l'eau courante -- l'acquis culturel, autre déterminisme, au moins aussi fort et contraignant que celui de l'hérédité: mon écriture, au propre et au figuré, est un pur produit de la formation dispensée dans les lycées français des années 50.

Face à l'évidence de la co-évolution des gènes et de la culture, la diversité moléculaire suffit à me convaincre du caractère unique de tout être humain (comme de nombreux autres de nos commensaux dans la biosphère). De 50 à 100 000 gènes composent notre génome. Plus de 3 000 sont responsables de la seule configuration cérébrale. Or, comme indiqué en une précédente chronique, la population moléculaire des protéines correspondantes n'inclue pas en pratique deux individus identiques. De surcroît, la mutation ponctuelle d'un seul acide aminé peut modifier radicalement la fonction d'une protéine. Et chacun d'entre nous porte, statistiquement parlant, plusieurs telles mutations. C'est ce qui nous permet l'adaptation, en tant que groupe biologique (au prix de problèmes parfois pénibles pour tel individu, victime quant à lui de pathologies diverses).

Ma conclusion, que je crois robuste, sera de proclamer la distinction entre détermination et singularité: d'être déterminés, comme d'ailleurs tout évènement historique, ne nous empêche pas d'être, chacun, singulier (comme d'ailleurs tout évènement historique!).

PIERRE LASZLO

Références:

Henri Michaux, Mes propriétés, dans La nuit remue, Gallimard, Paris, 1967, p. 177;

A.M. Dean et G.B. Golding, PNAS, 1997, 94, 3104-3109;

M. Serres et N. Farouki, éds., Le Trésor, dictionnaire des sciences, Flammarion, 1997 (entrée "héritabilité", par exemple).


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