Les inclusions des notices nécrologiques

chronique Nature et Artifice pour La Recherche

Bien avant l'holocauste, de respectables universitaires (psychiatres, anthropologues, juristes, ...) l'avaient préparé; et "prouvé" l'infériorité de "races" humaines comme les juifs et les Tziganes. Hitler et sa bande pouvaient étayer d'une base scientifique leurs actes d'exclusion, puis d'annihilation.[1] C'est un cas, trop oublié, de responsabilité du chercheur. L'alliance, certes, était seulement tactique: dès 1936, Hitler passait à l'attaque contre les intellectuels et la raison. Crime de bureau: c'est ainsi que Me Michel Zaoui qualifia le comportement de Maurice Papon à la préfecture de Bordeaux, durant l'occupation[2] . Papon collabora au repérage, puis à la déportation de familles juives. La communauté scientifique est-elle à l'abri de tels actes (par une simple signature au bas d'un document, conduire à la mort sans intention de la donner)? Évidemment non. Le patron d'un laboratoire a un tel ascendant sur ses chercheurs que ceux-ci, pour lui offrir de beaux résultats, vont parfois jusqu'à la fraude. Ils peuvent aussi dramatiser un échec par le suicide, le laboratoire d'E.J. Corey à Harvard a eu ainsi trois victimes depuis 1980 qui ont fait jaser[3]. La responsabilité des scientifiques se borne-t-elle à leurs travaux publiés? Telle est l'interrogation que soulève l'Affaire Corey. Les chercheurs n'ont-ils pas une constante exigence de vérité, en actes autant qu'en écrits, en quête d'excellence et pourchassant toute exclusion?

Car la classe la plus fournie, des délits de bureau commis par des scientifiques est l'exclusion arbitraire d'un homme ou d'un groupe, au détriment de la justice et de l'intérêt général. On a l'embarras du choix pour en citer, depuis l'omission par l'académie suédoise d'Henry M. Eyring pour la chimie (ou de Jorge Luis Borges pour la littérature) jusqu'à la désignation, comme professeur dans telle ou telle université française, du candidat local, préféré à un candidat extérieur aux titres plus étoffés. J'ai un souvenir cuisant d'une procédure à Villeneuve d'Asq, où furent éconduis d'aussi excellents candidats que Jacques Salaün ou Max Malacria. A l'inverse, toute sa vie durant, Geoffrey Wilkinson, pourtant Prix Nobel de chimie, conserva l'amertume d'avoir été barré de sa titularisation à Harvard, au nom du principe très sain de ne pas promouvoir l'un des assistant professors en place, par prohibition de l'inceste.

Et que de comportements inqualifiables de la part de commissions minées par la cooptation de médiocres[4], le copinage, les renvois d'ascenseur, et les dénis de légitimité aux Barbares de l'extérieur! Que dire de l''habileté du petit malin, qui saigne à blanc un rival professionnel et se croît génial pour son exercice de la stalinienne tactique du salami? Mais je concluerait sur une note optimiste: homme de bien ou crapule, on reste comptable de son action devant l'Histoire; elle vous rattrape toujours plus vite que prévu...

PIERRE LASZLO

Références:

[1] Benno Müller-Hill, Murderous Science, G.R. Fraser, trad., Oxford University Press, 1988.

[2] Yan Thomas, Le Débat, 1998, 102, 17-36.

[3] Stephen S. Hall, The New York Times Magazine, 28 novembre 1998, pp. 120-128; Alison QSchneider, Chronicle of Higher Education, 23 octobre 1998..

[4] André Weil, "Science française", Oeuvres scientifiques, vol. II, pp. 277-289, Springer-Verlag, N ew York, 1979.


Retour à l'index