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Newton, savant véritable et féru d'alchimie

N'en déplaise aux historiens positivistes, chimie et alchimie ont fait bon ménage!

Des dizaines d'années durant, Newton eut de nombreuses lectures et de profondes méditations alchimiques, qu'il transcrit sur ses carnets; on en a retrouvé une pleine malle. Il étudiait les textes alchimiques qu'il connaissait à fond, afin de découvrir dan l'infiniment petit des attractions entre les plus petits corpuscules de la matière. C'était pour lui, la pierre philosophale: il espérait y trouver rien moins que la cause de l'attraction universelle. Ces archives récemment découvertes restructurent notre vision historique de la chimie.

Jusque-là, nous avions en effet une vue de notre histoire toute empreinte de positivisme -- le "nous" collectif désigne ici, indifférenciée, la communauté des historiens de la chimie, augmentée de chimistes qui leur prêtent, à juste titre, attention. L'histoire de la chimie se réduirait, dans cette perspective, à l'isolement à la caractérisation fiable des éléments et des composés; cette science n'aurait rien de spéculatif. Selon ce scientisme grossier, au cours de XVIIe siècle, la chimie sortit peu à peu des ténèbres de l'alchimie, dans lesquelles elle était enfoncée. Puis, après que Lavoisier, Foucroy et Guyton de Morveau lui aient fournie une nomenclature rationnelle, la chimie fit sa Révolution avec Lavoisier, qui lui donna son visage moderne et le programme que nous lui connaissons: élucider les transformations de la matière. Le positivisme, en l'occurrence, met l 'accent sur l'usage que Lavoisier fait de la balance dans l'analyse quantitative, en contraste avec les théories "fumeuses" des alchimistes, et il gomme, ce faisant, la majeure part de l'épistémologie lavoisièrienne.

Ce progressisme naïf a maintenant vécu. D'excellents historiens, comme Bernard Joly(1), ont montré que l 'alchimie au XVIIe siècle peut être déjà qualifiée de science rationnelle (quand bien même cette rationalité diffère de celle de la chimie qui apparaît à la fin de XIIIe siècle). Et, comme le montre le cas Newton, il n'est plus possible d'écrire ou même d'envisager l'histoire de la chimie dans la seule foulée d'une conception restrictive de la philosophie naturelle du Moyen-Age et de la Renaissance dont elle aurait pris le contre-pied. La publication, à la fin du XVe siècle, des écrits hermétiques a étoffé un néoplatonisme indissolublement lié à la naissance des Temps modernes et à l'idée même de modernité dont la chimie proviendra. Ignorer délibérément ce courant, en choisissant des oeillères de fanatique ou en s'abandonnant à la paresse intellectuelle (car son étude est bien plus ardue que la vieille histoire positiviste de la découverte des composés et des éléments de la chimie), n'est plus le fait que de quelques attardés, reclus dans leur tour d'ivoire corporatiste et confortable.

(1) Bernard Joly "Alchimie et rationalité: la question des critères de démarcation entre chimie et alchimie au VVIIe siècle", Sciences et techniques en perspective, 1995, 31, 93-107/

A lire:

Richard Westfal, Newton, never at rest. A biography of Isaac Newton, Cambridge University Press, 1981.

Antoine Faivre & Wouters J. Hanegraaff, Le Monde, 1 juillet 1997, p.174.


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