Utiles balises

A notre époque de médiocrité, le Nobel de chimie apporte de salutaires correctifs

Les Prix Nobel sont une excellente institution, qui se porte bien, même en la période présente de désaffection du public pour la science. Elle a proliféré, l'imitation est l'un des signes du succès: la Médaille Fields en mathématiques, les Prix Wolf en Israël, etc. La santé des Prix Nobel est aussi sa résistance aux infections, tout particulièrement aux détestables campagnes de certains intrigants pour se le faire attribuer, et à celles, tout aussi choquantes de groupes ou lobbies nationaux pour faire attribuer le Nobel à l'un de leurs concitoyens.

Un Prix Nobel a pour principal mérite le balisage et le rappel de l'essentiel. Le premier est un très utile repérage disciplinaire. Il s'articule pour la chimie et, depuis une vingtaine d'années, par l'affirmation forte de sa biologisation, sous forme d'une alternance assez régulière entre chimie et biochimie. De manière plus fine, le Nobel salue et assiste l'ouverture de sous-disciplines, telles que la chimie supramoléculaire, qu'a inaugurée Jean-Marie Lehn.

A notre époque d'envahissement par la médiocrité, d'usines à thèses, de recherche d'imitation encouragée par les organismes gestionnaires, le Nobel de chimie apporte un salutaire correctif. Il vient constamment rappeler, en récompensant des toutes petites équipes ou des solitaires, que la chimie reste un artisanat; citons parmi d'autres Frederick Sanger, Lars Onsager, ou Aaron Klug. Rappeler aussi que la découverten'en déplaise aux sociologues des sciences dont le comportement à son égard ressemble à celui de la poule ayant trouvé un couteau procède des mécanismes fondamentaux de la cognition, tels que la bissociation d'Arthur Koestler, ou la contamination mutuelle de deux représentations de Henri Poincaré; même si elle a lieu au sein d'une mini-communauté propice.

Il y a bien sûr, les dénis de justice. A ceux dont Graham Greene et Jorge Luis Borges ont souffert en littérature, répondent ceux de Fritz London(1) ou Henry Eyring(2), et quelques autres. Mais somme toute peu nombreux.

Pierre Laszlo

(1) Kostas Gavroglu, Fritz London, A Scientific Biography, Cambridge University Press, 1995; (2) Steven Harvey Heath, Henry Eyring Mormon Scientist, thèse de doctorat, Département d'Histoire, Université d'Utah, Salt Lake City, Juin 1980.

Tous droits réservés à La Recherche, 1996.


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