Rendez-vous manqué

Descartes est né le 31 mars 1596. Comment cet esprit universel voyait-il la chimie? Avec sévérité. Dans sa lettre à William Cavendish (1592-1676), marquis de Newcastle, du 23 novembre 1646, Descartes se plaint des chimistes qui "ne font que dire des mots hors de l'usage commun, pour faire semblant de savoir ce qu'ils ignorent".

Lorsqu'il traite des question chimiques, comme dans la quatrième partie des Principes de philosophie (1644), les explications proposées sont confuses et empreintes de scolastique. Descartes reprend la distinction d'Aristote entre deux exhalaisons, sèche et grasse, de la Terre, et échafaude tout un système de vapeurs, d'esprits et d'exhalaisons. Il pense que les divers métaux sont dus à différents arrangements géométriques des trois principes paracelsiens, sel, soufre, et mercure. Il croit le sel marin, le salpêtre et le sel ammoniac trois accidents d'une même substance. Descartes fait trop confiance au raisonnement pur, à la spéculation. La notion germinale de la chimie comme science expérimentale ne l'effleure pas.

La chimie est alors naissante. L'excellent Tyrocynium chymicum ou Débutant chimiste de Jean Béguin (env. 1550-env. 1635) est de 1611. Il lui faut une théorisation, préatomique. Nous la devons non à Descartes, mais à Gassendi, que Descartes traitait avec mépris. Gassendi eut cette intuition, presque une conversion au sens religieux du terme, de la pertinence de l'atomisme d'Epicure. Il se donna pour mission de le rééditer et de diffuser sa pensée. Cela fut fécond, pour Newton et pour les créateurs de la chimie moderne.

Marin Mersenne (1588-1648), boîte aux lettres parisienne de Descartes, était écartelé entre sa fidélité à ce dernier et sa grande amitié pour Gassendi. On a de lui un livre très intéressant, La vérité des sciences (1625), dialogue entre un chimiste et un philosophe chrétien, porte-parole de l'auteur. La thèse du chimiste, proche des expérimentateurs anglais, est que sa science deviendra la voie royale pour étudier la nature, pour la bonne raison qu'elle se fonde sur l'observation. Le philosophe chrétien, à la thèse victorieuseautant dans le livre de Mersenne qu'elle le sera dans l'histoire des sciences, prétend que le progrès ne peut venir que d'une mathématisation du savoir.

Descartes et la chimie: deux trains se croisant dans la nuit! Nous en subissons encore les conséquences.

Pierre Laszlo

Tous droits réservés à La Recherche, 1996.


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